Avant d’attaquer les trois cents et plus virages de la route de Cilaos, un petit crochet à l’Ilet Furcy vaut le détour. Au sortir de la Rivière Saint Louis, guettez le petit pont suspendu qui enjambe le Bras de Cilaos. Après l’Ilet Rolland et l’Ilet Gaspard, à gauche toute pour le traverser tout doucement et entrer dans une page de l’histoire de l’esclavage.
Parce que l’Ilet Furcy, n’est aujourd’hui qu’un petit écart de la commune de Saint Louis. Juste un petit coin où il fait bon vivre au milieu d’une nature sauvage. Une route qui ne mène pas plus loin que les berges de ce remuant Bras de Cilaos. De chaque côté, de tranquilles cases créoles bien à l’abri d’une végétation généreuse. Des agrumes dans les cours, et des fleurs qui explosent de couleurs un peu partout. Ici on marche, on roule à vélo, ce ne sont pas les voitures des quelques familles qui vivent là paisiblement qui provoquent des embouteillages !
Et pourtant, cet îlet tient son nom d’un singulier personnage. Une sorte de héros de roman et pourtant un authentique militant.
Plus de trente ans avant l’abolition de l’esclavage, en 1817, l’esclave Furcy a pris du galon. Il est l’intendant du sieur Joseph Lory. Intendant mais néanmoins esclave. Or, sa mère indienne d’origine a été affranchie en 1789 après un séjour en France. Il a un frère Cyril qui est mort en combattant aux côtés du fils de son maître contre les Anglais. Sa sœur Constance, née d’un homme libre, a été rachetée par son père. A la mort de sa mère, il reste esclave. A 31 ans, il tente de briser ses chaînes. Alors, il envoie un courrier au sieur Lory, lui réclamant sa liberté. Jamais encore un esclave n’avait assigné son maître en justice.
Du fait de ses origines, Furcy se considère comme un homme libre et souhaite quitter Monsieur Lory, qui, par confiance, l’a placé à la tête de sa maison. Un scandale pour l’époque ! Pourtant, le procureur général Louis Gilbert-Boucher défend le dossier jusqu’au bout contre tous. Il va même jusqu’à accorder sa protection à Furcy « parti maron ». L’esclave est malgré tout recherché, puis arrêté et détenu. Quant à la carrière de son dérangeant défenseur, elle en est sérieusement compromise. Il s'est attiré l'hostilité de Joseph Richemont Desbassyns, le commissaire ordonnateur général de l'Île Bourbon.
Dans la capitale, l’affaire fait grand bruit. En défendant les doctrines de Furcy, le révolutionnaire Boucher et son allié, Sully Brunet ont ouvert une brèche : la liberté de quelques 15 000 individus. Brunet, d’origine malgache, est attaché aux gens de couleur. Il est finalement suspendu et part vivre à St Benoît. Gilbert Boucher, lui, sous la pression, quitte la Réunion. Quant à Furcy, il n’obtint jamais sa Liberté. Le 23 décembre 1843, après 26 ans de procédure, la justice française déclare enfin que « Furcy est né en liberté.» Mais entre-temps, Furcy a été déclaré libre par les autorités anglaises de l'île Maurice, Joseph Lory ayant omis de le déclarer à son arrivée dans l’île sœur. Furcy assiste à Paris au procès en cassation, dont les débats sont largement couverts par la presse parisienne, en raison du caractère peu commun de l'affaire.
L’Ilet Furcy garde discrêment ce petit morceau d’histoire étudiée de près par Mohammed Aïssaoui, dans son ouvrage « L’histoire de l’esclave Furcy », prix Renaudot 2010 et prix RFO du livre la même année.
Une bonne raison d’aller y humer l’air de la liberté.